ENTRE AGIR ET PÂTIR : formes et sens du travail aujourd’hui - n°3

Prolégomènes

A l’heure où le projet de réforme des retraites est débattu en France, force est de constater l’évolution enregistrée par le travail ces quarante dernières années. Les changements se sont manifestés sur le plan de son organisation : développement du temps partiel (qui a triplé depuis lors), diminution du temps de travail (suite à une série de mesures législatives), télétravail (en augmentation depuis la crise sanitaire du Covid 19), flexibilisation des horaires et diffusion du travail le dimanche. Les changements proviennent également de la place prise par les femmes sur un marché où leur présence est devenue la norme : en 1979, trois Français interrogés sur dix y étaient opposés. En 2019, huit sur dix se disent favorables. L’évolution s’observe encore dans le rapport que les individus, et notamment les jeunes, entretiennent avec le travail : son absence est un motif d’inquiétude, son contenu peut être source d’éco-anxiété, et son objet doit faire sens. Par ailleurs, toutes générations confondues, près de la moitié des Français estiment consacrer trop de temps à leur travail au détriment de leurs activités extérieures, et ce, en dépit de la hausse du temps libre. Cette insatisfaction montre combien les salariés n’entendent plus centrer leurs existences autour de leur activité professionnelle. Elle illustre aussi une évolution des représentations. Nous vivions, selon Michel Kokoreff et Jacques Rodriguez, dans une société « qui articulait les mondes du travail, les grandes familles politiques et les styles de vie dans une même représentation. Le travail salarié qui en était le pivot assurait une continuité du social au politique, et du public au privé, dans l’expression des conflits sociaux, la construction des identités collectives et des modèles sexués »[1]. Or, poursuivent les deux sociologues, cet agencement s’est aujourd’hui défait.

C’est dans ce contexte de transformation du travail que ce dossier de la Revue CONFLUENCE : Sciences & Humanités prend place. Il ne limite pas son analyse à ses aspects organisationnels, psychologiques et juridiques, mais cherche à le penser dans ses dimensions et temporalités multiples, en convoquant également les approches philosophique, éthique, théologique et historique. Il veille encore à ne pas s’enfermer dans une approche idéale du travail – le « travail-comme-il-devrait-être »[2] – pour faire droit à ses ambivalences : entre aliénation et création, entre division et communion, entre agir et pâtir… Enfin, plusieurs contributions italiennes permettent de dépasser le cadre analytique stricto-français.

[1] KOKOREFF, Michel et RODRIGUEZ, Jacques. 2014. « La société française au prisme de l’incertitude ». In : MOLÉNAT, Xavier (éd.). L'Individu contemporain. Regards sociologiques. Auxerre : Éditions Sciences Humaines, p. 123. DOI : 10.3917/sh.molen.2014.01.0123.

[2] MÉDA, Dominique. 2007 ; « Introduction ». In : MÉDA, Dominique (éd.). Le travail. Presses Universitaires de France, pp. 5-8. URL : https://www.cairn.info/le-travail--9782130561170-page-5.htm

Valérie AUBOURG, Directrice de l'Unité de recherche

Introduction du dossier
Le travail, entre agir et pâtir

Tout au long de l’histoire de la pensée, du fond de l’âge grec, depuis Hésiode et au-delà, comme dans la tradition biblique, nous retrouvons trace de l’ambivalence du travail, bipolarité inscrite au cœur même de l’expérience laborieuse. Le travail est une activité tantôt rangée du côté de l’action, voire de la création, dans ce que ces registres contiennent d’éminemment positif pour l’être humain, tantôt du côté de l’infortune et de la nécessité, nous rappelant à notre finitude ; tantôt considérée comme une punition, une calamité, un malheur, accidentel ou principiel, tantôt comme un moyen de salut, de libération, d’accès à la sphère éthique et à la reconnaissance, à la vie plénière de l’être. Par-delà leur diversité d’approche et de terrain, les études réunies dans ce numéro se retrouvent dans l’exigence d’honorer la bipolarité de l’agir et du pâtir qui caractérise la question (les questions) du travail. C’est à l’analyse de cette bipolarité, ou ambivalence, de l’expérience laborieuse que nous avons consacré cette introduction, en interrogeant, en même temps, la « place » (sens, valeur, réaffirmation ou perte de sa centralité) que le travail occupe dans nos sociétés.

Emmanuel D’HOMBRES & Riccardo REZZESI

Sommaire

Dossier

Introduction Le travail : entre agir et pâtir
Emmanuel D’HOMBRES & Riccardo REZZESI
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L’économie au risque du réalisme. Entretien avec Pierre-Yves Gomez
Pierre-Yves GOMEZ & Emmanuel d’HOMBRES & Riccardo REZZESI
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Le travail, une épreuve au service de la communion fraternelle, selon Jean Calvin
Caroline BAUER
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Entre aliénation et alliance entre les hommes : le travail, « philosophie première » ?
Emmanuel GABELLIERI
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Le travail comme communion : management et entreprise à orientation sociale
Giuseppe ARGIOLAS
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Que convient-il de faire ? Notes de réflexions entre éthique et économie
Massimiliano MARIANELLI
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Culture et civilisation comme réponse à la crise du sens du travail : de l’humanisme d’Adriano Olivetti à sa postérité
Serena MEATTINI
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Droit au travail : liberté fondamentale d’agir en conditions décentes pour s’émanciper du risque pâtissant
Didier PRINCE-AGBODJAN
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Quand travailler rend éco-anxieux
Pierre-Éric SUTTER & Loïc STEFFAN & Dylan MICHOT
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Varia

The Regulation of Plurality in Mauritian Hinduism: History, actors, and practices
Mathieu CLAVEYROLAS
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Le théologico-politique. Genèse et constitution d’un problème
Émilie TARDIVEL
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