Sylvie Bermann : L’expérience de la diplomatie

À l’occasion de la sortie de son livre "Madame l’Ambassadeur : De Pékin à Moscou, une vie de diplomate", l’UCLy a accueilli l’ancienne diplomate Sylvie Bermann, première femme Ambassadeur de France dans trois pays du Conseil de Sécurité de l’ONU (la Chine, la Russie et le Royaume-Uni). Elle relate 40 ans d’expérience de la diplomatie au cœur des enjeux et des conflits qui façonnent le monde d’aujourd’hui.

Chine : D’une révolution à l’autre

La carrière de Sylvie Bermann a été nourrie de son expérience en Chine, en 1976. « À l’époque, quand je dis vouloir partir en Chine, mes professeurs me répondent : 'vous perdez votre temps dans ce pays qui n’a pas d’avenir !' » raconte-t-elle. L’anecdote fait rire l’amphithéâtre Mérieux, mais elle témoigne d’une révolution. Car 1976 est l’année pivot de la Chine contemporaine : Zhou Enlai meurt en janvier, Mao en septembre. Suite aux manifestations sur la place Tian’anmen, la « Bande des Quatre » est arrêtée et la Révolution culturelle s’achève. Bientôt, Deng Xiaoping arrive au pouvoir. Ses réformes donneront naissance à la Chine d'aujourd'hui.

« Je voulais témoigner de cette période, d’une Chine qui vivait dans une misère inimaginable » explique Sophie Bermann. « L’idée, c’était de montrer ce basculement. Une Chine misérable est devenue la deuxième puissance mondiale. »

A son retour en Chine en 2011 en tant qu’Ambassadrice, elle note que le regard occidental sur le pays a changé : « À cette époque, la Chine fait surtout l’objet d’admiration et de convoitises » note la diplomate. Depuis, les attitudes continuent d’évoluer. La méfiance a succédé à l'admiration et les tensions montent entre les États-Unis et la Chine. Sylvie Bermann dresse un constat clair : « Nous sommes dans une nouvelle Guerre Froide. Contre l’URSS elle était militaire et économique, dans le cas de la Chine elle est technologique. ».

Cette croissance insolente et les nouvelles ambitions politiques chinoises viennent défier une certaine vision occidentale du monde, comme le note Yann Saccucci, maître de conférences de l'UCLy : « On a longtemps pensé qu'il était impossible pour la Chine de maintenir à la fois son ouverture économique et sa fermeture politique. Pourquoi est-ce que ce statut se maintient ? » Pour expliquer cette construction paradoxale, Sylvie Bermann souligne le réalisme du pouvoir chinois :  « Il n’y a pas d’idéologie au niveau du Parti Communiste. Les chinois sont totalement pragmatiques, et si Xi Jinping revient aujourd’hui sur des formules maoïstes, c’est plutôt dans le vocabulaire que dans la réalité… »

Une Histoire d’hommes

Rapports de force, éléments de langage, intérêts stratégiques, guerre économique…Le monde des relations internationales semble parfois dominé par des mécaniques inexorables, face auxquelles l’individu ne pèse rien. « La diplomatie est-elle humaine ? » se demande alors Jean-Baptiste Cocagne, rédacteur en chef de RCF Lyon et animateur de la conférence.

La diplomatie est-elle humaine ?

- Oui!

Jean-Baptiste Cocagne et Sylvie Bermann

« Oui ! » répond Sylvie Bermann sans hésiter. Provocatrice, elle ajoute : « Malheureusement d’une certaine manière. Peut-être que des monstres froids seraient plus rationnels que ne le sont les hommes... » Prenant l’exemple du Royaume-Uni, où elle a fini sa carrière d’Ambassadrice, elle explique : « Sans Boris Johnson, il n’y aurait pas eu de Brexit. C’était du simple opportunisme, il voulait le pouvoir et c’était la manière la plus directe d’y arriver. »

Pour Sylvie Bermann, la pandémie du Covid a d'ailleurs contribué à créer les conditions d’une montée des tensions globales : « L’absence de contact personnel a beaucoup pesé sur la diplomatie. Le contact au travers d’un écran efface l'humain et nous limite aux éléments de langages. »

Ukraine : « Le temps de la guerre »

Pour Sylvie Bermann, la liste des dirigeants dont les décisions individuelles ont changé le cours de l’Histoire ne s’arrête pas là : « Sans Gorbatchev, pas de dissolution de l’URSS et sans Vladimir Poutine, il n'y aurait pas de guerre en Ukraine. » Ambassadrice de France à Moscou à partir de 2011, elle a connu de près la Russie du « Tsar ». Elle dresse le portrait d'un dirigeant de plus en plus solitaire, dont les décisions sont parfois très émotionnelles, voire impulsives.

« Poutine a une obsession de la grandeur de la Russie, une forme de nostalgie et de sentiment d’humiliation » explique-t-elle. « En raison de sa phobie des maladies, il a été très isolé pendant la pandémie, ne voyant plus que des militaires et des membres des services de sécurité. Il a ressassé tout seul sa détestation de la fin de la puissance russe. Quand il parlait de n’importe quel sujet c’était avec calme, sauf quand il parlait de l’Ukraine. »

Sans Vladimir Poutine, il n'y aurait pas de guerre en Ukraine.

Sylvie Bermann

La fin du conflit est-elle pour bientôt ? Sylvie Bermann en doute : « Nous ne sommes pas dans le temps de la diplomatie, mais dans le temps de la guerre. » Néanmoins, d’éventuelles négociations lui semblent inévitables : « La Russie ne peut plus gagner davantage que ce qu’elle a aujourd’hui, donc elle a intérêt à signer un accord. De leur côté, les ukrainiens veulent mener une contre-offensive et reprendre suffisamment de terrain pour négocier en position de force. Mais à terme, l’épuisement des stocks de munitions des pays occidentaux pourrait aussi accentuer la pression sur eux. La guerre finira un jour par un accord. »

Conférence organisée en partenariat avec RCF Lyon et la librairie La Procure

Vous pouvez réécouter une partie de la conférence en podcast sur le site de RCF en cliquant sur ce lien

Langues et interprètes, des outils indispensables

La carrière de Sylvie Bermann a pu se développer grâce à sa connaissance de la Chine et du mandarin. Si l’anglais permet aux diplomates du monde entier de communiquer, il est impossible pour les futurs diplomates d’échapper aux langues étrangères. « Apprendre la langue du pays où l’on vit est une marque de considération, et sur le plan diplomatique, c’est très important » remarque l’ancienne Ambassadrice. Mais au-delà de la politesse, la connaissance des langues relève aussi d’une expertise nécessaire : « La structure d’une langue, c’est la structure de pensée d’un pays. »

Pour la diplomate, ni l’anglais ni les nouvelles technologies ne peuvent remplacer de véritables interprètes. « Même si l’on parle parfaitement la langue, lorsqu’il est important d’être bien compris, il faut quand même avoir recours à un interprète. Entre diplomates le 'small talk' se fait dans la langue de notre interlocuteur, mais toutes les affaires passent par un interprète. »

Pour se préparer aux carrières diplomatiques ou à l’interprétariat, l’ESTRI propose des formations centrées sur les langues et les relations internationales, comme la Licence LEA ou le Master Traduction.

Ukraine - Les conférences de l'UCLy

Conférence : La guerre d'Ukraine vue par un officier Le général Darricau en conférence à l'UCLy

Le retour de la guerre en Europe change notre regard sur le monde, et sur nos sociétés. L’UCLy a pu accueillir le général Gilles Darricau, Gouverneur Militaire de Lyon pour apporter ses éclairages lors d’une conférence.

Conférence : « La guerre d’Ukraine n’est pas isolée... »

L’UCLy a accueilli le mardi 21 février l’opposant russe et directeur de l’ONG Mémorial, Prix Nobel de la Paix, Alexandre Tcherkassov. Dans cette conférence, l’activiste est revenu en détail sur les origines de la guerre en Ukraine, plus anciennes qu’on ne le croit.

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