Quentin Vieira : étudiant et sportif de haut niveau en para natation

L'interview

• Bonjour Quentin, pouvez-vous vous présenter ?

  Alors, moi, c’est Quentin Vieira, j’ai 19 ans. Je suis en deuxième année de Licence d’Histoire mineure science politique et géopolitique. Donc ça fait deux ans que je suis maintenant sur le campus Carnot de l’UCLy et je suis sportif de haut niveau en para natation. Puisque j’ai un handicap visuel, qui ne se voit pas, en l’occurrence.

• Pourquoi avoir choisi la natation ? Qu’est-ce qui vous plaît dans ce sport ?

  Alors, personnellement, ç’a été un peu un choix facile, on va dire, puisque quand j’étais petit comme tout jeune, enfin pas tout jeune garçon mais comme beaucoup de jeunes garçons, je me suis mis au foot. Et puis arrivé à un moment, j’ai commencé à dire que j’avais un handicap visuel. Que forcément, tout ce qui était distance, joueurs qui sont espacés, qui sont loin de moi, je ne les vois pas. Donc ç’a été plutôt compliqué. Et là les coachs m’ont dit que malheureusement, ils ne pourraient pas me garder dans l’équipe. Ce à quoi, j’ai dû m’y faire.

  Et je suis venu à la natation un peu par facilité. Parce que mon école proposait des cours de natation. J’étais à ce moment-là en école spécialisée pour la déficience visuelle à Villeurbanne. Et du coup, ça s’est fait naturellement. J’ai intégré l’association sportive au collège. C’était qu’un entraînement par semaine, à ce moment-là. Et puis après, j’ai voulu faire de la compétition. À partir de ma seconde, j’ai commencé à m’y mettre un peu plus intensément. Et aujourd’hui, c’est devenu clairement un travail, on va dire.

• Comment gérez-vous votre planning entre les entraînements, les compétitions et les cours ?

  Alors c’est complexe. Il faut trouver une organisation. C’est une organisation de travail. L’année dernière, j’étais obligé de sauter certains cours pour pouvoir aller aux entraînements.

  Pareil pour la fatigue. C’est-à-dire qu’il fallait faire avec. C’est sûr que la fatigue est toujours présente quand on fait du sport de haut niveau. Là, quand on va s’entraîner le matin, qu’on doit se lever à 5h pour aller nager et que derrière on doit enchaîner avec les cours, c’est sûr que ce n’est pas facile.

  Maintenant aujourd’hui, cette année, vu qu’on est dans une année paralympique, en l’occurrence pour moi-même, et olympique pour les valides, si je puis dire, j’ai pu adapter mon emploi du temps afin de me libérer et d’avoir plus de moments de récupération. Parce que la récupération, c’est essentiel pour un sportif de haut niveau.

• Est-ce que vous arrivez à avoir d’autres activités à côté ? Des sorties ? Des passions ?

  Alors limitées. Limitées, ça c’est sûr. Mais on en garde toujours un peu à côté parce que sinon c’est vrai que c’est le bon moyen pour descendre la pente et perdre pied. Donc effectivement, je garde toujours un peu de temps pour aller voir des amis en ville. Alors, bien sûr, c’est coûteux en énergie pour moi. Mais c’est toujours un plaisir. Et il faut de ces moments-là pour justement restaurer l’envie d’aller nager. Puisque c’est contraignant la natation et donc on a besoin de ces moments-là pour continuer.

• Pouvez-vous nous parler de votre handicap en quelques mots ?

  Oui, bien sûr. C’est une atrophie du nerf optique. Des deux nerfs optiques, puisque ça touche mes deux nerfs optiques. Techniquement parlant, ça ne touche pas mes yeux. Simplement, ça va m’enlever la vision centrale de l’œil. Ça, je ne le remarque pas puisque mon cerveau s’est adapté, puisque c’est quasiment de naissance. Je l’ai eu à 18 mois. C’est génétique.

  Et par exemple, ça va m’handicaper dans tout ce qui est appréhension des distances. Tout ce qui est détails visuels. Plus c’est petit, moins je vais voir. Moins il y a de contraste, moins je vais voir. Pour tout ce qui va être des personnes, les visages, ça va être très compliqué. Même à un mètre de distance. Donc tout ce qui est savoir repérer quelqu’un dans l’espace, c’est difficile.

  Et puis sinon, il y a des tas d’adaptations que j’utilise au quotidien qui permettent de s’approcher d’une vie à peu près normale. Mais ça ne remplacera jamais la fatigue mentale aussi qui est importante. Puisque le fait de faire les cours en n’ayant pas la vision du tableau et donc de la remplacer par un outil, ça coûte beaucoup d’énergies mentales, qui ne sont pas utilisées forcément dans ce sport que je fais. Donc forcément, ça coûte. Ça coûte de l’énergie.

• Comment cela impacte-t-il votre sport ?

  Ça se ressent, moi, sur les virages. Sur l’arrivée au mur. Tout ce qui va être effectivement la distance. Comment je me repère par rapport au bassin. Il se trouve que je le remarque de plus en plus, mais je ne nage jamais très droit. Je fais toujours un peu des légers, très légers zig-zags. Du coup, ça coûte du temps. Surtout sur le moment où je vais tourner au mur, c’est là où je perds le plus de secondes. Puisqu’avec mon appréhension, même si ça fait quelques années que j’en fais tous les jours des virages, même comme ça, j’ai toujours cette appréhension de louper le virage. Et ça m’arrive de temps en temps en compétition de me prendre le mur sans faire exprès, de l’avoir pas bien vu et de me prendre ce mur-là. C’est rigolo. Sur le moment, ce n’est pas drôle. Mais quand on y repense, ça nous fait rire.

  C’est pour ça que maintenant j’ai pu développer avec la fédération le « tapping ». C’est quelqu’un au bord du bassin, dans les compétitions internationales et nationales également, qui va vous taper avec une sorte de perche avec une petite balle au bout pour vous dire « là tu arrives à telle distance du mur, il va falloir que tu tournes dans tant de coups de bras ». Ça se fait avec chaque nageur, chaque athlète qui ne voit pas. C’est vraiment au cas par cas. En fonction de chaque personne. Il va le taper plus ou moins loin du mur. En fonction, du coup, il va savoir qu’il va lui falloir deux coups de bras par exemple pour tourner. Et ainsi limiter, on va dire, cette appréhension du mur. Mais ça ne changera jamais le fait qu’effectivement, j’ai toujours cette appréhension-là.

• Quels sont vos prochains objectifs sportifs ?

  Cet été, j’étais aux Championnats du monde de para natation avec l’équipe de France. J’ai pu retrouver cette ambiance-là que j’avais aussi connue pour les Championnats d’Europe de 2021. L’objectif, c’était de rentrer en finale cet été. Ce qui a été fait. Donc j’ai fini 7^ème. Ce n’était pas vraiment la place que j’attendais. Ce n’était pas non plus le temps que j’attendais. Donc il y avait de la déception, même s’il y avait cet objectif qui avait été rempli.

  Maintenant, le but, c’est de se rapprocher le plus possible d’une place qualificative pour les jeux paralympiques. C’est une saison cruciale puisqu’on saura en août exactement la sélection qui aura été faite. Tout au long de l’année, il va y avoir des points de sélection qui vont être organisés. Il va falloir que je réponde présent pour pouvoir espérer justement remplir cet objectif qui me tient à cœur depuis des années.

• Quel est votre sportif préféré ?

  Dure question. On va dire qu’il n’y a pas de sportif préféré chez moi. C’est plusieurs personnalités dans lesquelles on puise de l’inspiration. Il y a eu Florent Manaudou qui m’a donné ce déclic-là en 2012. Je me rappellerai toujours de l’endroit où j’étais au moment où il remporte le titre olympique.

  Et puis il y a bien évidemment Michael Phelps. Grand nageur. Le plus titré. Le nageur le plus titré de l’histoire. Alors je ne le rejoindrai pas sur la discipline de travail qui est vraiment… il s’infligeait vraiment quelque chose d’horrible, on va dire. À nager y compris pendant les vacances qu’il prenait. Moi, ce n’est pas ce que je ferai, ça c’est sûr. Des vacances, c’est des vacances. Mais effectivement, dans la discipline en dehors des vacances, c’est ce que j’aspire à faire en tout cas.

• Et votre personnage historique préféré ?

  Ah ! Waouh ! Mon personnage historique préféré ? J’aurais tendance à dire, quand j’étais jeune, François 1^er. Pourquoi ? Je ne sais pas. C’est une période que j’apprécie beaucoup, la Renaissance. Et c’est un peu le personnage, pas central, mais il a une importance, en France en tout cas, notamment avec l’introduction du français dans l’administration, avec les ordonnances de Villers-Cotterêts. C’est une passion comme une autre, comme la natation. Mais oui, François 1^er, c’est un des rares qui ne m’a jamais quitté, on va dire. Qui m’a toujours animé, en tout cas.