« Approcher l’altérité avec un accent sur la dimension ontologique invite à débusquer l’impensé de notre pensée »
Poirier, 2016
À l’ère de « l’anthropocène » les sciences humaines et sociales repensent les rapports entre environnement, êtres et sociétés contemporaines et s’interrogent sur leurs propres cadres de pensée, leurs propres subjectivités et leur pertinence pour comprendre la pluralité des manières d’être au monde (Descola, 2005). Les humanités environnementales émergent comme un vaste champ de recherche transdisciplinaire qui s’efforce de réinventer objets et méthodes et dont le geste inaugural consiste à rompre avec la conception occidentale de la « nature » considérée comme inanimée et, ce faisant, pouvant être dominée et exploitée par l’homme (Blanc et alii, 2017).
Cet axe de recherche entend approfondir la catégorie du « non-humain », qui se situe précisément dans une dynamique féconde entre le proche et le lointain : si elle est souvent employée par défaut pour désigner ce qui n’est pas l’homme, elle n’en constitue pas moins le signe d’une attention portée aux vivants ou aux instances surnaturelles avec lesquels nous vivons et nous partageons des espaces communs.
Il s’agit donc de s’interroger sur les espaces de liminalité où les univers des humains et des non-humains (flore, faune, êtres surnaturels, etc.) se rencontrent. Nous voulons tisser une trame qui permette de réfléchir à la conception classique qui oppose la culture et le monde anthropisé vs. la nature et l’espace de la sauvagerie. Est-ce que cette dichotomie apparaît véritablement si rigide ? Ne serait-il pas possible d’envisager ces espaces liminaux comme étant plutôt un lieu d’échange entre ces deux mondes, un « entre-deux » où les relations entre humains et non-humains peuvent se déployer ? Cet axe se développe dans le cadre de l’approche pluridisciplinaire qui s’étend de l’anthropologie à la littérature mais reste ouvert à toute discipline souhaitant contribuer à sa thématique.
D’une part, cette perspective s’insère plus précisément dans les réflexions qui ont animé le récent débat anthropologique dans le cadre du « tournant ontologique », portant sur les ontologies plurielles qui habitent la réalité. Nous questionnons ainsi les notions de vision du monde et de partition sémantique de la réalité afin de déceler l’espace liminal où les rapports complexes entre la nature et la culture permettent à l’Homme de signifier sa place dans la réalité qu’il habite.
De l’autre, il s’agit d’étudier, dans une perspective écocritique propre aux humanités environnementales, comment la littérature invente des procédés à même de rendre compte des manières d’être vivant qui ne sont pas humaines en rendant notamment le lecteur attentif à ce qui a été invisibilisé, désanimé, désenchanté par la culture occidentale dominante. On observera aussi comment la littérature décrit des lieux hybrides où l’hégémonie humaine s’estompe au profit d’une appréhension du lieu comme le fruit d’une pluralité d’acteurs, le texte littéraire se faisant ainsi le laboratoire de relations inédites entre l’humain et le non-humain. Les plantes, les animaux ou encore les insectes littéraires seront ainsi nos objets privilégiés pour rendre compte de la manière dont l’anthropocentrisme peut paradoxalement être ébranlé par l’anthropomorphisme. On s’intéressera donc particulièrement à l’analogie littéraire qui, en dévoilant ce qui nous rapproche du non-humain, creuse aussi la différence irréductible entre ces modalités d’être singulières.