L’élection de Joseph Ratzinger comme pape a fait connaître le visage de ce théologien déjà bien connu de ceux qui étudient la théologie.
Il s'est intéressé aux questions les plus intriquées de la dogmatique, mais aussi aux thématiques pastorales comme la prédication. Il savait parler de théologie aux « non-initiés » (voir son best-seller de jeunesse La foi chrétienne hier et aujourd’hui, mais aussi sa trilogie Jésus de Nazareth qu’il a écrit en tant que pape). Dans le premier ouvrage, qui est une introduction au christianisme fondée sur la structure du symbole des apôtres, le jeune théologien rassemble et approfondit les conférences données à Tübingen au cours du semestre d’été 1967 devant un public très varié. Joseph Ratzinger reproduit la tentative réussie faite avant lui par Karl Adam, avec son cours L’essence du catholicisme.
Il était un théologien profondément cultivé, avec une connaissance impressionnante de l’histoire et des courants théologiques et exégétiques, mais en même temps capable de sentir, lire et discerner son époque, et de lui dire la Parole en des termes compréhensibles pour aujourd’hui.
Si je devais retenir un seul adjectif pour le définir, je choisirais sans hésitation celui de « catholique ». Pas seulement dans le sens confessionnel du mot (et, rappelons-nous, il a été tout au long du pontificat de Jean Paul II, pour ainsi dire, le « gardien de la catholicité » en tant que préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi), mais pour le style et l’élégance de son geste théologique. Cet homme sensible et timide, qui a aussi été un grand musicien, savait trouver et expliquer les accords et les harmonies de la foi, mais aussi de la concrétisation et de l’incarnation de cette foi. Il était « catholique » dans le sens où il a toujours été attentif à la complexité de la réalité et à la vision globale des choses. En parlant de l’Eternel, il n’oubliait pas l’histoire. En écoutant les données de la foi, il écoutait aussi les cris de la culture exprimés par ses représentants éminents.
Il avait le don rare de s’apercevoir et de faire percevoir la coincidentia oppositorum entre des éléments qui peuvent sembler parfois – à tort – irréconciliables : par exemple la fidélité au « Ciel » et la fidélité à la terre ; être théologien/ exégète et être un maitre spirituel ; être profondément catholique et en même temps ouvert aux personnes d’autres religions ; l’attention à la dimension « politique » de la présence chrétienne sans pour autant perdre de vue son cœur mystique et eschatologique.
Avec une grande sensibilité, les écrits de Joseph Ratzinger donnent un sens de la figure intégrale de la réalité sur le fond de la Vérité de Dieu. Dans la fragmentation de notre culture et de nos visions du monde, la pensée de Ratzinger peut nous provoquer avec sa beauté, clarté, génialité d’interconnexions et son regard qui en même temps est toujours fixé sur Jésus – le Dieu-homme – et sur l’homme en Dieu. Il savait indiquer, avec un regard d’en bas, l’aspiration au sens (et au sens-ultime) de tout être humain : « En fait, l’homme ne vit pas seulement du pain du faisable, mais il vit en tant qu’homme et, dans la configuration la plus typique de son humanité, il vit de la parole, de l’amour, du sens de la réalité. Le sens des choses est en effet le pain dont l’homme se nourrit, dont il nourrit le noyau le plus central de son humanité ». Mais cette attention accordée à la dimension « d’en bas » n’annihile pas la tension vers le haut, le « très Haut » qui est venu à la rencontre de l’homme. La foi pour Benoît XVI était bien plus que de croire en quelque chose. La foi, c’est croire en Quelqu’un, lui faire confiance et s’en remettre à lui.
Ses derniers mots cèlent existentiellement sa théologie : « Jésus, je t’aime ». Une foi qui se confie, qui croit à l’amour de Dieu et qui répond à cet amour. En tant que fidèle lecteur et disciple de saint Augustin et connaisseur et admirateur de saint John Henry Newman, je crois qu’il incarne parfaitement deux de leurs visions. Du premier, j’évoque une de ses définitions de la foi : « Qu’est-ce donc que croire en lui ? C’est l’aimer, c’est le chérir, c’est tendre vers lui, c’est s’incorporer à ses membres ». et de Newman, la formule incisive : We believe because we love : nous croyons – nous pouvons croire – parce que nous aimons. L’Amour, le fait d’être aimer par Dieu et de répondre activement à cet amour, illumine la foi et la rend possible.
Comme enseignant aujourd’hui, je recommande ses textes. C’est un des rares théologiens qui sait concilier la rigueur réflexive et la profondeur spirituelle, le sens du recul et l’enracinement. Il transmet le noyau fondamental de la foi sans être fondamentaliste. Il est enraciné sans radicalisme.
Robert Cheaib
Robert Cheaib est enseignant en théologie dogmatique, directeur du 1er cycle de la faculté de théologie et membre du pôle 1 de l’Unité de Recherche de l’UCLy