Les véhicules autonomes incarnent le nouveau palier de développement atteint par les technologies dites d’intelligence artificielle dont les promesses d’amélioration de nos vies ne suffisent pas à dissimuler les risques, notamment juridiques, liés à leur utilisation.
Par Marjolaine MONOT FOULETIER, directrice des cliniques juridiques de la Faculté de Droit
Les systèmes complexes constitués d’algorithmes permettant la circulation de véhicules autonomes interrogent l’adaptabilité du droit de la responsabilité, tant à l’échelon national qu’européen. En effet, la mise en œuvre de cette nouvelle technologie secrète une responsabilité diffuse entre le concepteur, le constructeur, le conducteur – s’il en est encore un au sens du droit positif –, et peut-être le système lui-même – si on entend lui reconnaître une personnalité juridique -. Or ce caractère diffus ne saurait s’accorder avec les exigences du droit positif (tel qu’il ressort notamment de la loi Badinter n° 85-677 du 5 juillet 1985) concernant l’établissement d’une faute ou du moins d’une imputabilité certaine ; de sorte qu’au bout de la chaîne c’est sur la victime de l’accident causé par le véhicule autonome que risque de reposer l’établissement très hypothétique de la responsabilité permettant son indemnisation.
Dès lors, pour garantir les victimes du risque algorithmique, que l’on peut qualifier de socialement conditionné dans la mesure où il correspond à une volonté socialement affirmée de faire appel à des technologies complexes nonobstant la nébuleuse de responsabilité entourant leurs modalités de fonctionnement, on devra étudier la pertinence de modifier nos systèmes nationaux de responsabilités pour évoluer vers des mécanismes européens permettant à la fois une prise en charge équitable des dommages et une responsabilisation effective des acteurs du système complexe.
Dans cette perspective, la piste d’un dépassement de la logique de responsabilité, au profit d’une logique de compensation collective par le biais d’un fonds d’indemnisation, semble devoir être explorée. En effet, la technologie embarquée dans un véhicule autonome, ontologiquement, induit une forme d’imprévisibilité liée à cette autonomie, de sorte que les techniques traditionnelles d’engagement de la responsabilité, même sans faute, ne peuvent préserver l’indemnisation des victimes. Dès lors, il convient sans doute de faire appel au potentiel des mécanismes d’assurance et de solidarité afin de s’engager dans une démarche de prise en charge sociale des risques auxquels chacun sera soumis dans l’intérêt de tous (pour autant que le véhicule autonome soit véritablement source d’une plus grande sécurité routière). L’indemnisation des victimes serait ainsi fondée sur la nature même du dommage et non plus sur la faute ou l’imputabilité. Un fondement d’ordre éthique donc, privilégiant le caractère équitable de l’indemnisation individuelle de la charge potentielle d’un progrès collectif.
Marjolaine MONOT FOULETIER, professeur de Droit à l'UCLy - HDR, membre associé du Centre Maurice Hauriou - Université Paris Descartes, directrice des cliniques juridiques de la Faculté de Droit