Esther Duflo, l’économiste en guerre contre la pauvreté
Prix Nobel d’économie, cette franco-américaine fait de la lutte contre la pauvreté son cheval de bataille avec pour bras armé une méthode expérimentale originale. Invitée des Journées de l’UCLy, l’économiste de renommée internationale nous éclairera le vendredi 13 mai prochain sur les questions des vulnérabilités qui agitent notre monde.
mise à jour le 7 décembre 2022
UCLy
Esther Duflo, Prix Nobel d’Économie, invitée des Journées de l'UCLy le vendredi 13 mai 2022
« Je souhaite pratiquer l'économie comme une vraie science humaine. Une science, rigoureuse, impartiale, sérieuse. Une science de l'homme, dans toute sa richesse et sa complexité. Mais une science humaine finalement : généreuse, ambitieuse, engagée. » Tel est le leitmotiv de notre économiste nationale, élite mondiale.
Esther Duflo confie s’être interrogée très tôt sur l’inégale répartition de la richesse. Son milieu familial l’a sans aucun doute aidé à nourrir cette inclination. Issue d’une famille protestante, la future lauréate du Nobel d’économie naît en 1972 à Asnières-sur-Seine. La fratrie se compose d’un garçon et de deux filles. Le père est mathématicien et la mère pédiatre. Cette dernière participe régulièrement à des projets humanitaires en tant que médecin. Esther elle-même, adolescente, travaille comme bénévole dans plusieurs ONG. Parallèlement, elle pratique aussi le scoutisme au sein des Éclaireuses et Éclaireurs unionistes de France.
A côté de son engagement caritatif, la jeune fille mène de brillantes études. Élève au Lycée Henri-IV, puis diplômée de l’Ecole Normale Supérieure de Paris, elle soutient en 1999 au département d’économie de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) sa thèse de doctorat consacrée à l'évaluation économique des projets de développement. « La plupart des personnes veulent jouer un rôle positif dans la société, travailler, être intégrés… » argue-t-elle concernant les populations cibles de ses travaux.
Pionnière d’une méthode expérimentale révolutionnaire
Au MIT, elle rencontre son mari et mentor Abhijit Banerjee, ainsi qu’un autre confrère économiste, Mickaël Kremer. Sur la même longueur d’onde, ils conçoivent ensemble une méthode expérimentale révolutionnant la manière d’appréhender l’évaluation des politiques de lutte contre la pauvreté. « Cela consiste à ne pas essayer de résoudre le problème d'un coup en se demandant pourquoi les pauvres le sont et chercher la manière pour qu'ils ne le soient pas. Cela consiste plutôt à couper le problème en plusieurs questions plus précises. » La démarche des trois économistes rejoint celle des essais cliniques. C’est-à-dire étudier un échantillon de population, constater ce qui fonctionne ou pas, afin de s’interroger sur les causes et proposer des solutions pérennes.
Cette approche va conduire le trio à décrocher conjointement le prix Nobel 2019 d’économie. Esther Duflo devient la deuxième femme à obtenir cette récompense et la plus jeune économiste. « Beaucoup de jeunes femmes voient l'économie comme un métier de financiers qui portent des cravates et ça ne les intéresse pas du tout. Moi-même, j'ai découvert l'économie et surtout ce qu'elle pouvait faire, complètement par hasard. J’ai alors compris que les économistes avaient voix au chapitre sur des décisions politiques importantes, ce qui avaient vraiment des effets sur les personnes. »
Cette distinction couronne plus de deux décennies de travaux. « Quand on a commencé à faire ces expériences aléatoires sur les programmes sociaux comme sur des médicaments, c'était regardé comme quelque chose de complètement farfelu », confie Esther Duflo. « Pourtant, la plupart des politiques économiques sont basées sur des intuitions et très rarement sur des connaissances profondes de ce que sont vraiment les problèmes. De plus, elles ne sont jamais évaluées, donc on ne sait pas si elles sont efficaces ou pas. »
Leur approche empirique est aujourd’hui adoptée par les agences d'aide au développement et par la Banque mondiale.
Un palmarès époustouflant
Esther Duflo n’en est pas à son premier prix. Elle collectionne les reconnaissances académiques et les titres. Sa carrière en est même jalonnée.
En moins de 20 ans, elle a reçu le prix Elaine Bennett pour la recherche de l'American Economic Association en 2002, le Prix du « meilleur jeune économiste » décerné par le Cercle des économistes et Le Monde en 2005, une bourse MacArthur « Genius Grant » en 2009, la médaille John Bates Clark en 2010 attribuée par l’American Economic Association, le Prix David N. Kershaw ainsi que la médaille de l'innovation du CNRS en 2011, le Prix Infosys en 2014, le Prix de la Princesse des Asturies pour les Sciences Sociales ainsi que le Prix A.SK Social Science en 2015…
Côté publications, le livre qu’elle a écrit avec son époux Abhijit Banerjee, Repenser la pauvreté a remporté en 2011 le Prix Business Book de l'Année du Financial Times et de Goldman Sachs…
Difficile d’être exhaustif quant à lister son palmarès et les activités qu’elle mène. Ajoutons cependant que l’enseignante-chercheuse a détenu la première chaire internationale annuelle « Savoirs contre la pauvreté » au Collège de France en 2008. Elle a également été l’une des 8 conseillers de Barack Obama en 2013 concernant les questions sur le développement mondial.
Elle accède au titre de professeur en économie du développement au MIT en 2004, à seulement 32 ans…
Aujourd’hui à l’aube de ses cinquante ans, la française, naturalisée américaine en 2012, enseigne toujours au MIT et codirige le laboratoire d'action contre la pauvreté J-PAL qu’elle a créé avec les économistes Sendhil Mullainathan et Abhijit Banerjee. Leur domaine de recherche porte sur l'économie du développement, en particulier la santé, l'éducation, l'accès au crédit, en passant par la lutte contre la corruption. « La lutte contre la pauvreté est un des domaines qui dans les trente dernières années a fait des progrès considérables. Chaque année, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté baisse. Plusieurs facteurs comptent, mais il faut souligner que les politiques de lutte contre la pauvreté se sont améliorées. »
Esther Duflo nous fera l’honneur d'intervenir en direct des États-Unis aux Journées de l’UCly le vendredi 13 mai prochain dès 16h45.
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